Camp de la Déportation
Saint-Laurent du Maroni
Quai du commerce
Saint-Laurent du Maroni
Marché aux poissons
Saint-Laurent du Maroni
La Guyane, une autre France, un paysage en mouvement constant
La Guyane, un pays, une autre France à 9000 km de Paris où la DREAL a construit un observatoire des paysages en 2015 en collaboration avec l’AUDeG (Agence d’urbanisme et de développement de Guyane) et sa directrice, Juliette Guirado, qui furent des ressources essentielles dans l’accomplissement de cet OPP sur ce territoire immense. Il comprenait trois parties distinctes, la première concernait la zone cotière et la ville de Cayenne, la seconde les territoires amérindiens et la troisième les paysages de la forêt et des fleuves, du Maroni à l’Oyapoque. J’ai travaillé sur cette dernière partie, à l’Ouest, de Saint Élie à Mana en passant par Petit Saut, d’Awala à Grand Santi sur le Maroni en passant par Saint Laurent et Apatou… et à l’est de Kaw à Saint Georges en passant par Régina et l’Inselberg de la Roche Virginie mais aussi de la Montagne d’Argent à Saut Maripa en passant par Ouanary, les Trois Palétuviers, Pampak et Saint Gorges sur l’Oyapok… Entre le Brésil à L’Est et le Suriname à l’Ouest, c’est un territoire grand comme le tiers de la métropole qui a été parcouru.
La Guyane est un monde métissé, où les frontières sont plus ethniques et sociales que géographiques. Profondément ancrées dans la société guyanaise, ces fractures trouvent leurs origines dans l’histoire de ce territoire. Les premiers habitants, les Amérindiens souffrent, pour une partie, des problèmes d’acculturation classiques à beaucoup de peuples premiers ; les bushinengués, descendants des noirs marrons fuyant l’esclavage occupent les villages isolés où des zones délaissées des périphéries ; les Hmongs dont l’histoire est liée à la décolonisation indochinoise sont agriculteurs sur une terre latéritique, pauvre, mais riche en insectes et parasites ; les « Chinois » sont commerçants, jusque dans les parties les plus reculées et improbables, au fin fond des fleuves s’enfonçant dans l’Amazonie profonde ; les créoles tiennent l’administration locale et les « métros », originaires de la métropole, sont professeurs, agents de l’administration centrale… et occupent le haut de l’échelle sociale. Bien sûr, cette vision est un peu caricaturale et simpliste, des passerelles existent, les mélanges se multiplient, mais l’histoire est pesante et les évolutions sont lentes.
En Amazonie, les déplacements ne se comptent pas en kilomètres, mais en heures. Les deux routes principales partent de Cayenne, l’une pour aller à l’ouest à Saint-Laurent-du-Maroni sur le fleuve frontière du même nom, l’autre à l’est jusqu’à Saint Georges sur le fleuve Oïapok, frontière avec le brésil, et dont le pont flambant neuf, preuve de l’amitié entre les nations brésilienne et française, inauguré par Jacques Chirac en 2010, était toujours bloqué en 2016 pour des raisons administratives. Gardé par des militaires de chaque côté, il surplombe un fleuve où les pirogues font un incessant trafic entre les deux pays. Ces deux routes principales et quelques routes secondaires modestes forment le réseau routier de Guyane. Le reste du réseau est formé de pistes souvent interdite (officiellement) à la circulation et soumises aux aléas climatiques. On pénètre alors dans le cœur de l’Amazonie, une sorte de terra incognita où l’on ne trouve souvent que des orpailleurs clandestins miséreux et des gendarmes patrouillant pour limiter les trafics… mais que peuvent-ils dans une forêt compliquée et un territoire immense aux frontières poreuses et illusoires.
En Guyanne, la plupart des trajets utilisent la pirogue plutôt que la voiture car le réseau structurant la majeur partie du pays est celui des fleuves et des criques. Les déplacements sont longs et parfois complexes à l’intérieur du territoire alors qu’ils sont rapides et constants entre les rives des fleuves frontière. Les bus scolaires sont des pirogues, d’où les enfants sortent immaculés pour leur journée d’école. Je me suis toujours demandé comment ils arrivaient si propres après un trajet pouvant durer presque une heure dans une simple pirogue de bois, avec l’eau boueuse parfois houleuse dans les sauts (les rapides) et venant de maisons souvent plus proches de la case et du bidonville que de la maison moderne des centres-ville. En Guyane, point de fleuve translucide et bleu, point de mer turquoise, les eaux sont boueuses des matières de l’Amazonie, et ces fleuves sont à la fois les routes, mais aussi souvent les toilettes, la salle de bain, l’évier et le vivier des pécheurs… de ces carbets et de ces villages disséminés sur leurs rives, où parfois on a l’impression d’être dans un film de Jean Rouch.
Sur une terre pauvre, la latérite, se développe une végétation luxuriante, sans saisonnalité dans cette région au climat équatorial où la température évolue entre 22 et 40 °C. La nature est reine et tout élément non naturel finit par disparaitre rapidement comme les maigres vestiges des camps du bagne français que ce soit sur la Montagne d’Argent ou à La Forestière. Seuls persistent les camps entretenus pour la mémoire comme ceux des iles de Cayenne ou le camp de la déportation à Saint-Laurent. Les villes ont explosé sous la pression migratoire avec un habitat informel dominant en périphérie, un habitat de tôles plus proche de favelas que de lotissements. On le retrouve aussi dispersé le long des routes et des fleuves. Il y a un écart monumental entre les centres de Cayenne et Kourou et le reste du territoire. Parfois il peut sembler que la Guyane, c’est d’abord Kourou et ses expatriés de l’industrie spatiale au milieu d’un autre monde. D’ailleurs, cette partie du territoire est « protégée » du reste par des barrages de gendarmerie « temporairement permanents » sur les deux routes qui convergent vers Cayenne. Elles sont coupées à une centaine de kilomètres de la préfecture, tant à l’ouest qu’à l’est, » pour limiter les déplacements de clandestins, qu’ils soient orpailleurs, brésiliens ou surinamais. Le spatial et les mines d’or semblent être les deux intérêts principaux de la métropole.
Dans les villes, la reconduction de cartes postales anciennes, souvent l’œuvre d’anciens bagnards qui ont survécus aux fièvres et aux traitements dégradants et sont restés sur place plus ou moins libres, est souvent compliquée tant tout change rapidement sous les attaques du climat, des moisissures, des insectes… qui obligent à rénover perpétuellement.
Il n’y a guère d’horizon sinon celui des arbres dans ce territoire de petits monts d’où surnagent quelques inselbergs. La végétation luxuriante envahit tout. L’eau est omniprésente dans les marais, les criques et les fleuves et il est surprenant que bien des habitants ne sachent pas nager. Sur une des images réalisées à Grand Santi sur le Maroni on peut voir une piscine gonflable mobile installée sur le fleuve. Elle fait partie d’un programme d’initiation à la natation des élèves des collèges et écoles. Ici, les écoles se construisent comme des petits pains sous la pression démographique souvent liée à l’immigration régionale.
C’est à la fois une terre de constance et un monde de changements continus que j’ai rencontré. Un département où la nature est souveraine et l’homme de passage malgrés les dégats de l’industrie aurifère, officielle et clandestine. Un territoire où l’on croise des hommes et des femmes forts et d’autres à la dérive. Un territoire riche, mais difficile, un autre pays.
PS : À ce jour, 5 ans après la réalisation de l’observatoire, celui-ci n’est toujours pas disponible en ligne, conséquence de difficultés de réalisation et peut-être d’anticipation de la phase de médiation. La seconde partie devait être réalisée par les agents du Parc National de Guyane pour lesquels j’avais prodigué une journée de formation, dont je doute qu’elle ait suffi ; tandis que la première partie était réalisée par un autre attributaire peu habitué à ce genre de pratique.